Grâce au Pass Warner de Prime Video, nous avons enfin pu reprendre et terminer Succession, série de tous les superlatifs.
Spoiler alert : nous ne faisons pas partie des fans transis. C’est long, c’est vulgaire, les personnages sont odieux et il faudrait les aimer MALGRÉ tout ça. Sauf que nous n’y sommes pas arrivés. Sauf peut-être avec Siobhan « Shiv » Roy (Sarah Snook)
Attention, l’article contient des spoilers, il convient d’avoir vu l’intégrale de la série avant de lire.
Shiv 1 – Famille 0
Dans ce petit théâtre de la cruauté qu’est la famille Roy, il y a donc le paternel Logan, la légende, le monstre qui a gentiment flingué l’éducation de ses enfants et leur estime d’eux-mêmes : Connor, né d’un premier mariage, est un intello aux ambitions politiques ridicules, Kendall est une addiction sur pattes qui ne cesse de se rétamer à force de vouloir devenir khalife à la place du Khalife, Roman est un pervers narcissique sans foi ni loi et il y a donc Shiv qui ne s’en tire finalement pas si mal comparé à ses frères. Comprendre par là qu’il lui arrive d’avoir une conscience !
Pas folle, Siobhan a très tôt fait le choix de ne pas travailler dans la compagnie familiale à l’inverse de ses frères. Après de belles études et une envie de voir le monde, elle devient consultante en politique. Les bassesses humaines n’ont pas de secret pour elle mais au moins, elle se tient à distance de tout ce qui se joue à Waystar/Royco. Ce n’est que quand Logan va lui faire miroiter la possibilité de prendre sa suite à la tête de la compagnie qu’elle décide de planter sa carrière.
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Shiv est la seule fille de Logan ce qui est plus un inconvénient qu’un avantage dès lors qu’elle intègre la société. Elle a beau porter le nom de Roy, elle va vite comprendre qu’elle met le pied dans un univers d’une misogynie sans fin où elle n’a pas son mot à dire. Son père lui colle un titre honorifique mais ses minions n’ont que faire de son avis. Certes ils ont besoin d’elle dans certaines situations où sa féminité peut aplanir la situation. Mais la plupart du temps elle est mise sur le carreau. A plusieurs reprises, elle regarde son père féliciter ses frères pour une action qu’elle a menée. Et même si elle n’est pas une âme sensible, elle encaisse les coups toujours plus difficilement.
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Entre Logan et Shiv, il y a un évident complexe d’Electre bien dysfonctionnel. Comme tous les enfants Roy, elle cherche le soutien, l’aval et finalement l’amour de ce père inhumain. Il le sait et il se sert de ce besoin. Durant le fameux épisode 9 de la saison 4 devant une assemblée comble, elle osera enfin dire les choses :
It was… hard to be his daughter. Oh, he… he was hard on women. You know, he couldn’t… He couldn’t fit a whole woman in his head
Oui, Logan est horrible avec ses enfants mais c’est sans doute pire avec Shiv tantôt traitée en petite chérie à son papa ou en personnel dispensable. Même si elle est celle des enfants qui a le plus de facilité à envoyer bouler le paternel, elle n’est pas la guerrière que Logan voudrait. Cela se retranscrit même dans les noms et surnoms donnés à la jeune femme.
Le prénom Siobhan renvoie aux origines de la famille Roy mais en anglais le mot « shiv » désigne un couteau ou un rasoir que l’on utilise comme arme.
Et ne parlons même pas du surnom qu’il lui a donné, à double sens. En anglais, « Pinky » désigne à la fois le petit doigt de la main (elle est la dernière de la famille) mais veut aussi dire « rosâtre », possiblement une référence au physique de Shiv qui est rousse.
Ce n’est pas mieux du côté de sa mère. Logan et Caroline ont divorcé quand Shiv avait 10 ans. Les enfants ont dès lors vécu avec leur père sans doute aux mains de nounous, le père Roy ayant d’autres entreprises à fouetter. Un « choix » que Caroline continue de reprocher à sa fille en la traitant de « mauvaise fille ». Joie, bonheur, allégresse !
Shiv et Tom
On comprend aussi mieux pourquoi Shiobhan ne déborde pas d’enthousiasme à l’idée de faire un enfant quand son mari Tom le suggère. Elle n’a pas spécialement eu de modèle à suivre. Qui plus est son ambition en serait entravée. Être une femme dans la tech est compliqué, être une femme enceinte dans la tech est impossible comme le prouvera la suite de la série.
Ce que l’on comprend moins notamment en début de série, c’est ce que que Shiv « fucking » Roy fait avec ce mou du genou de Tom Wambsgans (excellent Matthew McFadyen). N’ayons pas peur des mots, il ressemble beaucoup à un parasite incompétent un poil plus sérieux que le cousin Greg.
Ils se sont rencontrés à Paris et Tom a suivi Shiv. Par amour ou pour le pouvoir familial ? Très certainement les deux puisqu’elle lui obtient un poste à Waystar alors qu’elle-même n’y travaille pas.
Au fil des saisons, leur relation va prendre une tournure que Shiv n’attendait sûrement pas (et nous non plus). Alors qu’ils sont fiancés, elle le trompe sans vergogne et part sur l’idée d’un mariage libre. Mais petit à petit, on se rend compte que le Tom de l’extérieur (couard, peu sûr de lui) est tout autre dans l’intimité de son mariage : il l’aime, ne supporte pas de passer au second plan, après le père, après la carrière, veut construire le futur. Sauf que les attentes et les intérêts ne convergent pas entre eux. Ils vont se faire du mal, se dirent des choses atroces.
Sans y faire vraiment attention, Shiv a choisi un homme d’apparence faible mais qui n’a rien à voir avec son père et ses frères. Encore une façon de se détacher de l’emprise familiale. Tom n’est pas un ange, c’est un requin opportuniste qui retombe toujours sur ses pattes. Mais avec elle, il est bon, compatissant.
The End
Le plus intéressant avec Shiv c’est que le personnage sort « grandi » de la plupart des épisodes. Très certainement parce qu’elle est entourée de personnes bien plus horribles qu’elle.
L’issue de la série aurait été différente sans l’intervention de Shiv. C’est le résultat de la mise à l’écart perpétuelle de la jeune femme que le père et les frères ne trouvent pas assez douée, assez compétente, assez impitoyable. Ils récoltent tous ce qu’ils n’ont pas semé et tristement, Shiv est la victime de ses doutes et de ses alliances mal négociées.
Dans un ultime geste, elle se venge de la façon dont elle a été traitée. Mais chemin faisant, elle s’enferme dans un rôle peu enviable : la femme de…, la mère de…, ce que cette grande indépendante n’a jamais aspiré à être.
Nul doute que Shiv s’en sortira en murmurant à l’oreille de son époux.
Pour autant, est-ce que cette fin ne fait pas d’elle le personnage le plus tragique de la série ?