A l’heure où la France s’apprêtait à quitter le Moyen-Age (quoique !) et à entériner le mariage pour tous, les séries américaines de l’été 2013 suivaient sans faire exprès le mouvement. De mémoire de sériephiles, il n’y a jamais eu autant de séries à thématique lesbienne ou mettant en scène des couples de femmes en l’espace de seulement 3 mois. Alors certes la visibilité, c’est bien mais est-ce que le propos fut pour autant valorisé et compris ? Petite revue des forces en présence.
ATTENTION SPOILER SUR UNDER THE DOME
Tout a commencé avec The Fosters, la nouvelle série de ABC Family, produite par Jennifer Lopez qui rentre en plein dans le sujet avec son couple de femmes qui adopte et recueille des enfants du système. Après The L Word qui officiait de façon assez sulfureuse sur Showtime il y a quelques années, The Fosters est l’autre série à parler d’homosexualité féminine sans aucun complexe. Pourtant le propos est ailleurs.
Il ne s’agit pas d’une série militante et sensuelle mais d’un show familial dans la tradition de ce que fait déjà ABC Family si ce n’est que les parents de la famille sont des femmes. Fondamentalement, ça ne change rien à la donne et c’est bien le message que la série tente de faire passer. Un couple homo n’est pas différent d’un couple hétéro : leurs ados sont tout aussi pénibles et turbulents, leur vie sexuelle est en berne avec 5 mômes et deux boulots à temps plein, on s’engueule, on se rabiboche, on fait des compromis. La seule différence c’est la société qui les entoure et qui n’est pas toujours compréhensive.
Après un pilote un peu trop en charge de nous montrer combien cette famille est comme les autres, la série révèle des personnages assez attachants. Si Teri Polo convainc assez tardivement dans le rôle de Stef, la flic, Sherri Saum est parfaite pour incarner la très patiente Lena. Attention, tout cela reste du ABC Family avec son lot de naïveté mais le but est atteint en matière de représentation positive surtout que ce couple est mixte.
Sur CBS, Under the Dome, l’adaptation du roman de Stephen King sur une petite ville qui se retrouve mise sous cloche par un étrange dôme compte parmi ses habitants malchanceux, un autre couple multiracial de femmes. Alice (Samantha Davis) et Carolyn (Aisha Hinds) n’étaient que de passage à Chester’s Mill quand le dôme est « tombé ». Elles accompagnaient leur adolescente à problème, Norrie dans un camp de vacances censée la remettre dans le droit chemin. Cette représentation est intéressante d’autant plus que ces citadines sans doute peu habituées au regard des autres sont par la force des choses obligées de cohabiter avec des gens à l’esprit étroit.
L’urgence de la situation ne permet pas de s’attarder de ce côté-là, surtout que la ville a besoin d’Alice qui est le seul médecin présent dans le dôme. Les scénaristes préfèrent se focaliser sur son sombre destin et sur l’impact que cela aura sur Carolyn et Norrie dont la mère biologique était Alice, qui a conçu avec un homme qui pointe le bout de son nez.
Dans une série de ce genre, les personnages servent l’histoire et non pas l’inverse. La conservatrice CBS n’a à l’évidence pas eu peur d’intégrer le couple lesbien du roman et c’est heureux.
Au chapitre des mauvais élèves, la saison 6 de True Blood a joué les feignasses puisque Tara et Pam n’ont eu que très peu de scènes communes et absolument rien à faire de spécial. Bon d’accord, elles étaient enfermées dans une prison pour vampires la moitié de la saison mais les filles d’Orange is the New Black ont bien trouvé à s’occuper, elles !
Mais finalement ce n’est rien comparé à l’histoire d’amour de Mistresses entre Joss (Jes Macallan) et Alex (Shannyn Sossamon). Ratage total d’autant plus incompréhensible que dans la version anglaise de la série, cette intrigue était très bien gérée.
Rappel des faits : Joss est hétéro et anti-engagement. Alex est homo et vient de rompre avec sa freak control de Sally. Elles deviennent amies, prennent une douche améliorée ensemble (c’est apparemment la coutume entre ami(e)s en ce moment !), conviennent que ce n’était qu’une douche qui ne voulait rien dire ! Sauf pour Alex qui aime plus que de raison sa grande blonde et qui, en conséquence de quoi, ne peut plus être son amie.
Joss n’accepte pas de perdre la seule copine fille qu’elle n’a jamais eu (apparemment Karen et April comptent pour du beurre !) et décide de la retenir en devenant la parfaite petite-amie. Alors qu’elle n’a rien de parfaite, ni d’une petite-amie ! A ce stade, le n’importe quoi a été déjà depuis longtemps atteint ! Mais le coup de grâce se fera dans la scène de rupture quand Joss explique à Alex qu’elle lui a donné ce qu’elle voulait pour la garder auprès d’elle. Et de montrer son (superbe) corps en disant : « Ca, c’était juste du bonus » ! Ieurk ! Non seulement la scène est grossière mais prouve aussi à quel point Joss fait peu de cas de sa personne. Pour le romantisme, on repassera. Des couples lesbiens c’est bien, des couples lesbiens qui s’aiment et se respectent c’est mieux !
De son côté, la saison 4 de Pretty Little Liars a joué sur ses acquis avec Emily et Paige et leur valse des sentiments à base de « je t’aime, je te quitte ». C’est en tout cas ce que j’ai lu, parce que ma dévotion à l’égard des séries TV n’inclut plus de regarder cet hymne au porte nawak depuis la fin de la saison dernière !
La véritable réussite de l’été en matière de visibilité lesbienne (et en matière de séries tout court) c’est Orange is the New Black, le nouveau show de Jenji Kohan. Ceux qui gardent un souvenir ému du passage de Nancy Botwin en prison dans Weeds vont en avoir pour leur téléchargement avec cette adaptation d’un livre, inspiré de la véritable expérience de Piper Kerman. Outre que le titre tient du génie, OITNB est un formidable patchwork féminin, une série chorale qui possède toutes les couleurs de l’émotion et de la drôlerie !
Avec comme point de départ, une héroïne bisexuelle qui retrouve son ex petite-amie des années après une méchante rupture non-digérée, la dernière série de Netflix piquait la curiosité et n’a pas déçu. On y trouve des amours occasionnelles, contrariées, du sexe pour du sexe, du fantasme masculin et de l’homophobie.
Dans ce melting-pot de relations et de personnages, Alex et Nicky apparaissent comme les deux véritables lesbiennes. A l’inverse des autres, elles n’ont pas adapté leur sexualité à la situation dans laquelle elles se trouvent. Elles aimaient les filles avant d’arriver en prison. Et ce ne serait d’ailleurs que justice si elles terminent ensemble.
Mais bien sûr le couple le plus visible et le plus intéressant est formé par Alex et Piper. Si le doute n’est pas permis quant à la sincérité des sentiments de la brune, on a un peu plus de mal à connaître la vraie motivation de Piper. Elle apparaît surtout très confuse, ne sachant trop quoi faire entre son ex et son fiancé.
Quoi qu’il en soit, Jenji Kohan n’a peur de rien et joue de son humour dévastateur pour croquer différents portraits de lesbiennes qu’il s’agisse de leur nature intrinsèque ou d’opportunisme. Et c’est un succès à tous les étages !
Si Orange is the New Black était un « risque calculé » et l’intrigue lesbienne de Mistresses, une colossale erreur qui frôle la honte, The Fosters et Under the Dome créent la surprise en imposant des représentations assez justes des couples homosexuels actuels. Voilà qui redonne confiance dans le genre humain !
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© Jill Greenberg
Joss et Alex (Mistresses) – Copyright ABC