Interprétée par Odile Vuillemin
Rarement personnage féminin de série TV française aura fait l’objet d’une telle attention, d’une profondeur intrigante et d’un karma aussi pourri que Chloé Saint-Laurent. Il faut bien évidemment s’en réjouir. Car aussi dramatique qu’ait été son passé, celui-ci en a fait l’étonnante jeune femme aux tenues extravagantes et à l’indéboulonnable sac jaune qui se retrouve un jour au cœur des enquêtes d’un commissariat parisien à quelques encablures de Notre Dame.
Son anti-conformisme et sa folie douce cachent en apparence une brillante intelligence. Doctorante, elle donne aussi des cours à la fac en parallèle de ses activités de criminologue au côté du Commandant Matthieu Perac (Guillaume Cramoisan) puis du Commandant Thomas Rocher (Philippe Bas).
Cette spécialiste du comportement humain débarque dans cette brigade avec une approche des affaires particulièrement singulière. C’est le commissaire Grégoire Lamarck (Jean-Michel Martial), son ange gardien depuis l’adolescence, qui la fait venir dans son commissariat ce qui ne réjouit guère Perac et son bras droit, Frédérique « Fred » Kancel (Vanessa Valence). L’un comme l’autre sont assez odieux avec Chloé qui n’a pas non plus le profil type de la collègue modèle qui rentre dans le moule. Elle est gaffeuse, maladroite, évaporée et même un peu flippante dans sa façon de se mettre dans la peau des suspects en prenant leur ton de voix, tout haut devant tout le monde. Une manie qui va heureusement lui passer au fil des saisons au profit d’un profilage plus délicat.
Chloé a une vision viscérale des choses, elle doit s’imprégner des scènes de crime, toucher les objets, farfouiller dans un coin qui l’appelle sans trop savoir pourquoi, observer la gestuelle des témoins et poser des questions qui semble hors contexte à tout le monde sauf à elle qui poursuit un profil psychologique déjà bien établi dans sa tête. Une fois de retour au commissariat, les cheveux systématiquement retenus par un crayon -comme pour bien signifier qu’une autre étape se joue-, sa « vision » des choses est retranscrite sur un tableau transparent qui rassemble photos, indices, preuves et sur lequel elle écrit frénétiquement. La dernière phase de son travail se joue devant les écrans des caméras de la salle d’interrogatoire. C’est là que ses théories se confirment ou s’infirment. Elle va alors les tester auprès des suspects en faisant mine d’être de leur côté, de comprendre le cheminement de leurs pensées qu’elle a fait siennes. C’est finalement ainsi qu’elle parvient à les confondre et qu’ils avouent avec l’aide du policier qui l’accompagne.
Un travail de longue haleine, relativement épuisant qui explique pourquoi Chloé (mais aussi le reste de l’équipe) passe la moitié des scènes à grignoter. La jeune femme peut alors rentrer chez elle et faire face à ses propres démons. Et ils sont nombreux et fort encombrants.
La vie de Chloé Fisher, de son vrai patronyme, bascule ce soir de ses 14 ans où elle sort avec ses copines, laissant ses parents à la maison. La soirée tourne court, un garçon est trop entreprenant et Chloé décide de rentrer chez elle pour y trouver son père s’enfuyant, la chemise pleine de sang après avoir lardé son épouse de 25 coups de couteaux pendant un épisode psychotique. Sa mère meurt dans ses bras laissant à jamais Chloé responsable de ce qui est arrivé. Et si elle n’avait pas fait le mur ? Et si elle avait pu s’interposer ?
Sa rencontre avec Grégoire Lamarck remonte à cette époque, c’est lui le flic qui arrive le premier sur les lieux et prend la jeune fille sous son aile. Il l’aidera à traverser l’épreuve d’un procès qui met son père en hôpital psychiatrique. Dès lors, il deviendra cette figure paternelle qu’elle n’a plus.
L’héritage que l’on laisse à l’adolescente est bien trop lourd et c’est à ce moment-là que naît sa personnalité si décalée. Ironiquement, cette jeune femme qui parvient si bien aujourd’hui à cerner son prochain ne comprend les règles sociales. Elle est une sorte d’autiste qui évolue dans son propre monde sombre à l’intérieur, coloré à l’extérieur à l’image de sa garde robe et de sa crinière rousse.
Chloé est autant une curiosité pour les membres de l’équipe avec laquelle elle travaille que pour le téléspectateur. Les problèmes d’adaptation dont elle fera l’objet au cours de la saison 1 sont les mêmes qu’une partie du public. Mais derrière sa bizarrerie, la psychologue est terriblement attachante, drôle et rafraichissante. La voir débarquer chez son psy à 3h du matin ou pendant qu’il est en train de dîner avec sa femme pour une consultation sur le pouce est hilarant.
L’attachement profond (et réciproque) qu’elle développe pour Matthieu Perac et dans une moindre mesure pour Fred et Hippolyte de Courtène (Raphael Ferret) lui fabrique ce lien social qui lui fait tellement défaut. Ils forment tous une sorte de famille un peu dysfonctionnelle mais bien réel. De fait, quand celle qui se disait sa sœur sortie de nulle part, détruit le fondement même de cette famille, Chloé est dévastée et fuit.
Comme pour le meurtre de sa mère, elle pense que la responsabilité de la mort de Matthieu lui incombe. Elle était tellement heureuse de retrouver un membre de sa famille qu’elle a été aveuglée. Elle n’a pas vu ce qui était pourtant évident, elle, la profileuse !
Il va du coup falloir toute la détermination du remplaçant de Matthieu, Thomas Rocher pour la sortir de son agoraphobie passagère et la remettre sur le terrain. Mais que l’on ne s’y trompe pas, sa relation avec Rocher est bien différente de celle qu’elle avait avec Matthieu. Alors qu’elle cherchait à se faire accepter de ce dernier, elle s’amuse à faire tourner en bourrique le second, forte du soutien de Fred et Hippolyte.
C’est à la comédienne Odile Vuillemin qu’incombe depuis 2009 de camper l’étrange Chloé, cet électron libre et perturbé qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans ce commissariat aux habitudes rodées. Il n’est pas exagéré de dire que l’actrice a su joliment relever le défi que le rôle représentait et s’imposer dans le cœur du public comme une valeur sûre. Attachante, bizarre, drôle et grave à la fois, Chloé Saint-Laurent marque la télévision française de son empreinte indélébile.
NB : Par manque de temps pour finir les saisons 3 et 4, ce portrait s’arrête sciemment au début de la saison 3 et sera modifié par la suite.
Le coin des quotes
- « Bonjour (silence) Vous avez raison, c’est surfait »
- « Toutes les enquêtes sont difficiles »
- « Bon, écoutez, c’est quoi le problème ? Le problème c’est mon thé préféré le matin, les petites attentions, la note de service sur la sécurisation des scènes de crime où je suis présente, et maintenant, vous m’invitez à vos pokers secrets du 2ème jeudi de chaque mois. Vous vous sentez coupable de m’avoir traité comme un chien depuis le début ? C’est pas grave, c’est dans votre nature, vous êtes comme ça. C’est la peine de vous flageller, hein ! Alors vous allez aller faire votre poker comme d’habitude avec les autres, sans moi -de toute façon j’ai autre chose à faire demain soir- et vous allez redevenir bougon et autoritaire comme avant et tout ira bien. D’accord ? Voilà ! »
- « A votre avis, c’était plutôt une introvertie sentimentale ou une extravertie sensitive ? »
- « C’est toujours mieux que d’être ici sans lui. Moi, je ne supporte pas. Je ne supporte pas qu’un autre occupe son bureau, dirige des enquêtes à sa place. J’ai l’impression qu’il va entrer dans la pièce à chaque instant. »
- « Vous avez besoin de votre travail pour garder la tête hors de l’eau pour donner le sentiment qu’en rendant justice vous rétablissez un peu plus tous les jours la balance. Sauf que pour ça, vous avez besoin d’une équipe, et cette équipe, vous êtes en train de la perdre ! »
- « Si on faisait de la psychologie de comptoir, on pourrait dire que la caméra est un appendice qui compense un problème de taille. En réalité, les problèmes psycho-sexuels sont souvent d’ordre fonctionnels. Sans le pouvoir que vous donne cette caméra, vous n’arrivez à rien. Je me trompe ? »
- « Pardon, je croyais qu’on travaillait ensemble ! »
- « C’est vous qui me parlez de confiance ? Non mais je rêve ! »
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